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Crise migratoire : Propositions, solutions et débouchés économiques.

Entretien avec Emmanuel Argo

Conseiller  international  ex officio de l’Afcham/ Chambre de Commerce Africaine en Chine

 

Français d’origine Afro-caribéenne, Emmanuel Argo est né en France.

Il est, entre autres, Membre de Chatham House / l’Institut Royal des Affaires Internationales à Londres en Angleterre. Dans le cadre de développements socio-économiques, il est intervenu pour l’optimisation financière des  rémittences – envois d’argent effectués par les migrants de toutes origines, dans leur pays natal -.A cet effet, il a porté de nombreuses recommandations auprès d’instances comme les  Sommets du G8, G20, mais aussi,  auprès d’autres institutions internationales.

Il est l’auteur du néologisme international Remitt@nces 1  ainsi que de l’acronyme SYDRE 2. Dans l’entretien qui suit, Emmanuel Argo se penche non seulement sur le retour des migrants dans leur pays d’origine mais aussi sur l’installation des réfugiés victimes de conflits et de guerres, de modifications climatiques ou de catastrophes naturelles.

C’est au titre de Conseiller international de l’AFCHAM, qu’il  propose des solutions concrètes à ces problématiques.

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AFCHAM : Quelle que soit leur origine géographique, comment, d’après vous, faciliter le retour des migrants dans leur pays d’origine ?

Emmanuel Argo: on constate que les décideurs publics et économiques internationaux disposent de données plus fiables  qu’autrefois pour mieux anticiper leur gestion de façon pragmatique.

Me concernant, je veux distinguer ici les migrants économiques, des réfugiés de l’urgence.

S’agissant des premiers, en complément de moyens financiers habituels nécessaires à tout projet  de Développement socio-économique et humanitaire, on peut s’appuyer sur une importante ressource financière encore insuffisamment utilisée. Il s’agit des rémittences, cet important levier financier généré par l’épargne des migrants dans les pays d’accueil et qui représentent  une manne financière d’environ 1 400 milliards de dollars US   selon des sources de la Banque Mondiale. Cette estimation inclue les envois d’argent en espèces, les biens et services sans traçabilité officielle.

En effet, les 1 Remitt@nces !  – c’est à dessein que j’utilise ce mot parce qu’il intègre par souci d’efficacité les nouvelles technologies comme l’informatique – sont une réalité socio économique et financière  qui ne doit plus seulement rapporter aux sociétés qui gèrent les transferts d’argent et prélèvent au passage des taxes.

A ce propos,  dans le mot Remitt@nces, l’inclusion du signe @ symbolise l’abolition technique des barrières qui doit favoriser  le développement de l’activité croissante de sociétés d’envoi d’argent. L’@, est symbole de l’immédiatisation de la transmission et du lien. Il exprime sans restriction cette dernière qualité, vitale pour les migrants et leur famille restée dans leur pays d’origine. Ce néologisme international que j’ai créé, permet de dire rémittences en Français, comme en Anglais, en Arabe, tout comme en Chinois : 谢谢 Remitt@nces et en bien d’autres langues.

Dans les faits, cette ressource constitue déjà partiellement  une solution à des besoins de financements locaux pour le développement de régions souvent abandonnées par leurs forces vives. Pour aller plus loin, elle doit faire l’objet d’une épargne volontaire, gérée dans les pays d’accueil par des sociétés spécialisées et agréées, distinctes des banques traditionnelles.  Cette épargne,  ainsi constituée, doit pouvoir, à terme, inciter et faciliter au retour des migrants qui ont le projet de s’installer durablement chez eux et ambitionnent de créer leur entreprise (TPE ou PME) ou participer au développement des infrastructures locales.

C’est bien ce que des migrants occidentaux font en allant travailler en Irlande, aux Amériques, en Orient et même aux  Afriques.

Cependant, de leur côté, les pays d’origine – non occidentaux- doivent prendre des mesures incitatives de retour, pour que cette épargne irrigue les économies locales.

Pour tout dire, ces mouvements migratoires ont toujours existé depuis l’origine des temps. Quand un pays rencontre des difficultés, certains vont chercher « fortune ailleurs » !

 

Ma présence au sein de l’AFCHAM, positionnée en Chine, me permet de coordonner la mise en place de relations de complémentarité entre des partenaires européens et chinois et en particulier des sociétés d’ingénierie financière intéressées à la réalisation économique des solutions que j’ai déjà évoquées.

 

AFCHAM : Que faut-il faire concrètement ?

Emmanuel Argo : Ma démarche s’appuie sur des initiatives et des réflexions de think tanks du secteur privé, émanant  principalement de pays européens, ceux de l’autre rive de la Méditerranée, comme des Afriques, des Caraïbes, du Canada, des États-Unis, et l’Asie-Pacifique. J’ai déjà eu l’occasion de fédérer ces types d’initiatives depuis 2005, alors que j’étais établi en Angleterre.

Ma présence au sein de l’AFCHAM, positionnée en Chine, me permet de coordonner la mise en place de relations de complémentarité entre des partenaires européens et chinois et en particulier des sociétés d’ingénierie financière intéressées à la réalisation économique des solutions que j’ai déjà évoquées.

Pour l’heure, en Europe, un premier cercle se met en place. Il a pour but de mettre en place la première phase d’un projet  lié à l’utilisation des Remitt@nces.

Il s’agit de la création d’une taxe dite Taxe/Remitt@nces alimentée par une partie des commissions prélevées par les enseignes sur chaque transfert d’argent envoyé par les migrants à leur famille restée au pays.

 

En Europe par exemple, lors de la crise financière de  2009, la Grèce a fait appel à des ressortissants de sa diaspora établis en Amérique pour lever des Diasporas’ Bonds.

Ainsi, cette taxe que j’ai proposée et portée comme recommandation pour le Sommet du G20 de Séoul en 2010, aura pour vocation d’alimenter un Fonds international de Développement. Cela correspond à la deuxième phase du projet que j’ai précédemment évoqué. Sa gestion peut être confiée à un groupe constitué, pour partie, d’institutions internationales existantes, de représentants du secteur privé tant de la sphère bancaire, qu’associative ainsi que d’autres secteurs. Ce fonds pourra permettre la mise en place de prêts visant la création de très petites entreprises ainsi que celles de taille moyenne à l’initiative de migrants ayant choisi de retourner dans leur pays d’origine.

Mais pas seulement ! D’autres projets locaux de plus grande envergure, comme des grands travaux d’infrastructures, sont envisageables dans les pays d’origine des migrants ou diasporants. Pour leur financement, des bons d’obligations qui s’appelleraient  ‘Remitt@nces’ bonds’’, à l’instar des ‘‘Diasporas’ Bonds’’ connus en Inde, à l’Ile Maurice, aux Philippines, Cap Vert, Ghana et Kenya, pourront être émis.

En Europe par exemple, lors de la crise financière de  2009, la Grèce a fait appel à des ressortissants de sa diaspora établis en Amérique pour lever des Diasporas’ Bonds.

AFCHAM : Pour ce faire, quelles procédures sont  envisagées?

Emmanuel Argo : pour créer des synergies, il faut envisager la mise en place de partenariats économiques, commerciaux et culturels entre des pays des Afriques anglophone,francophone et  lusophone, des Caraïbes, d’Europe, d’Amérique Latine –comme avec le Brésil-, de l’Asie-Pacifique, et cela peut s’effectuer à partir de pôles internationaux dénommés SYDRES1.  En ce sens, la présence bien comprise en Chine de l’AFCHAM  arrive comme élément facilitateur.

AFCHAM : En vous écoutant, on comprend que les mouvements migratoires sont aussi constitutifs de richesses.

Emmanuel Argo : Naturellement ! Mais jusqu’ici, j’ai parlé davantage des migrants économiques. Je voudrais également aborder le cas des réfugiés.

Avec différents participants du secteur privé comprenant des intervenants humanitaires ainsi que  des associations caritatives, nous avons fait un inventaire – certes non exhaustif- pour mieux déterminer les régions décidées à les accueillir.

En Europe, il existe des zones urbaines désertées par les populations locales dans lesquelles sont déjà accueillis des réfugiés. Ces implantations sont également possibles dans d’autres régions de l’Union Européenne, comme celles qui sont situées sur des territoires ultra-périphériques tels que la Guyane française.

La Guyane qui n’est  plus une terre de relégation,  est aussi une  terre qui a déjà accueilli des réfugiés. C’est en effet sur son territoire que des sinistrés  de l’éruption de la montagne Pelée de 1902, qui a enseveli la ville de Saint-Pierre, ancienne capitale  de la Martinique, ont trouvé refuge. De nos jours des Haïtiens tout comme d’autres de leurs voisins, s’y installent, fuyant les catastrophes naturelles à répétition qui mettent à terre l’économie de leur pays. Ces réfugiés venant de lieux géographiques différents contribuent au développement économique de cette région européenne éloignée. En 1968 c’est ce vaste territoire qui a également accueilli l’implantation d’un  Centre spatial où des fusées européennes sont utilisées principalement pour le lancement des satellites de télécommunications. Ce qui n’a rien à voir avec des réfugiés, mais donne tout de même une dimension internationale à la région.

AFCHAM : Vous évoquez donc des lieux d’accueil spécifiques. Quelle est la démarche envisagée ?

Emmanuel Argo : Sur la base de candidatures au statut de ‘‘Terre d’accueil ’’, nous proposons à différentes instances européennes, en y associant les populations locales et leurs représentants désignés et élus, la constitution d’un groupe réflexion élargi pour la création, sur différents territoires éligibles, d’une zone dédiée urbaine et rurale, structurée en villes et communes gérées en plusieurs langues, dotées d’habitations adaptées à l’environnement tant climatique que biotique, de logements décents, d’un urbanisme réfléchi prenant en compte les recommandations de la COP 21 qui s’est tenue fin 2015 à Paris. Il conviendra également de faire appel aux meilleures expertises pour la création d’écoles, de centres de formation professionnelle, de centres culturels, d’incubateurs d’entreprises, etc.

Concernant les populations, il s’agit d’accueillir des groupes volontaires, premier point, qui peuvent participer financièrement à leur installation, au prorata de leurs moyens, deuxième point ; ces deux éléments participent ainsi à la dignité de leur démarche.

Je propose donc une action coordonnée à porter auprès des  instances Européennes et internationales concernées  par l’urgence de la situation migratoire. Le but serait de proposer à ces différentes catégories de populations en détresse, un accès légal et sécurisé pour leur éviter des itinéraires ainsi que des parcours aléatoires et dangereux.

AFCHAM : Qui pourrait soutenir une pareille initiative ?

Emmanuel Argo : Les entreprises privées locales, européennes ou internationales, compte tenu de l’intérêt économique et financier d’une telle entreprise, mais aussi les décideurs publics puisque un projet de cette envergure pourrait créer des milliers d’emplois en faveur des populations locales. Sont en priorité concernées : les entreprises  du bâtiment et travaux publics, de la construction de l’habitat et du logement, de l’assainissement, celles qui développent de nouvelles technologies, les activités  de transports et communications, les énergies renouvelables, celles qui assurent les services de santé, font commerce de la distribution alimentaire, dispensent des formations professionnelles permanentes ainsi que l’apprentissage  de langues étrangères. Sont tout aussi concernées, les banques et autres établissements financiers,   les entreprises de gestion privées, une administration publique se chargeant de la gestion et de l’application du droit y compris des mesures  fiscales qui seront en vigueur.

AFCHAM : Comment financer ces infrastructures ?

Emmanuel Argo : Les premiers travaux effectués par des spécialistes qui participent en Europe et en Asie-Pacifique à la réalisation de montages d’ingénierie financière pour des opérations d‘agrandissement de plateformes portuaires multimodales, ou de construction de petites villes périurbaines, nous permettent  de prendre appui sur leur savoir faire.

Les premières approches faites par des  experts en ingénierie financière  de l’Asie-Pacifique indiquent que le financement de cette opération, pourrait s’effectuer à partir de financements privés. Mais, un partenariat avec une entité représentant la puissance publique Européenne s’impose pour collecter -entre autre- les pénalités de pays qui préféreraient refuser l’accueil de réfugiés, contre paiement d’une redevance financière.

Les financements privés devront être également garantis et remboursés par les ressources fiscales générées par les impôts et taxes ainsi que par des dotations  liées au  fonctionnement de ces nouvelles infrastructures. Différentes approches sont en cours ici en Chine et en Europe sur la question, aussi, je préfère pour le moment attendre qu’elles progressent avant de développer.

Les Remitt@nces’ bonds dont j’ai parlé tout à l’heure, peuvent constituer également un levier financier non négligeable parce qu’elles pourraient   bénéficier de garanties institutionnelles. Ce serait justement là que l’argent des réfugiés pourrait être investi.Bas du formulaire

Les Sommets du G8 de Gleneagles en 2005, de St-Pétersbourg en 2006,  d’Heiligendamm en 2007, et celui du G20 de Séoul en 2010, ont pris en compte, dans leurs recommandations, une gestion non suffisamment optimisée des flux financiers que génèrent les épargnes constituées par les envois d’argent.

Alors que, le prochain Sommet du G20 se tiendra en Chine, à Hangzhou, dans la province de Zhejiang, il serait peut-être opportun de souligner l’intérêt socio économique  que représente l’importante masse financière constituée par les Remitt@nces.

D’ici là,  comme l’envisage de façon pertinente notre Directeur Général de l’AFCHAM, Jilles Djon, je soutiens la tenue à Shanghai d’une table ronde qui réunisse des partenaires économiques du secteur privé pour faire aboutir l’optimisation de l’épargne constituée par les Remitt@nces.

Ainsi,  en créant une taxe/ Remitt@nces de façon à  abonder un F.I.R.-Fonds International de Remitt@nces –  de mon point de vue, cela peut encourager le retour des migrants volontaires dans leur pays et participer au financement des projets de ‘‘terres d’accueil ’’ pour les réfugiés.

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SYDRES : Acronyme international créé par Emmanuel Argo, qui signifie : SYnergies pour des Développements Régionaux Economiques et Sociaux/ SYnergies for Development   of Regions and Societies/, SYnergías por el Desarrollo Regional Económico y Social/, SYnergias pelo Desenvolvimento Regional Economico e Social.  Il s’agit  interfaces pour la réalisation de projets  suprarégionaux et internationaux. L’une des vocations première des SYDRES est la création  de richesses et d’emplois en  promouvant la facilitation de la mise en place  de TPE et PME sous forme de joint-ventures. Les SYDRES s’appuient également tant sur les expertises, les formations et savoirs professionnels, que pour la parfaite connaissance des candidats au retour de l’environnement économique et socio culturel  de leur pays d’origine que celui qui les a accueillis.

 

Propos recueillis à Shanghai le 7 juin 2016, par Mei Li